Transformations familiales et mobilités résidentielles. Les enjeux du « faire famille » dans et par l’espace (dossier)
Au travers de la perspective qui consiste à analyser le “faire famille” dans et à travers l’espace, ce dossier thématique réinterroge des thèmes-clés de la sociologie de la famille et, plus largement, du lien social, et propose un vocabulaire conceptuel permettant de rendre compte avec justesse des évolutions en cours. Il s’attache plus spécifiquement à deux types de configurations familiales (elles-mêmes plurielles) : celle, d’une part, des familles en migration et/ou transnationales et celle, d’autre part, des familles séparées ou divorcées et ayant mis en place un mode d’hébergement dans lequel les enfants résident en alternance, et de façon plus ou moins égale, au domicile de leur père et de leur mère. Ce faisant, il met en dialogue deux champs d’étude(familles transnationales/familles multilocales) qui se déploient largement séparément, le premier s’étant amarré principalement à la sociologie des migrations avec une focale sur les formes familiales qui traversent des frontières“nationales”, alors que le second a davantage été porté par la géographie sociale et la sociologie de l’espace et s’est centré avant tout sur des formes de multilocalité internes aux frontières étatiques. Pourtant, les articles qui composent ce dossier ont de nombreux points communs, qui attestent de la proximité entre ces deux champs. Tous examinent les enjeux du “faire famille” à partir d’une perspective interactionniste et relationnelle qui place au centre de l’analyse les micro-pratiques qui se déploient au quotidien, appréhendées à partir de dispositifs méthodologiques qualitatifs. Ils se démarquent par ailleurs des travaux qui ont dominé jusqu’ici leurs champs respectifs en portant une attention toute particulière au point de vue et aux expériences vécues des enfants et des jeunes adultes au sein de ces configurations familiales, tantôt en leur donnant une place centrale, tantôt en leur offrant dans l’analyse une place aux côtés de leurs parents. Le sentiment d’appartenance se situe au cœur de ces travaux, et est traité à partir de mouvements divers, qui consistent par exemple à“créer” sa propre famille –y compris en-dehors de liens de sang –, ou au contraire, à entretenir aux yeux des autres une apparente conformité avec la famille “traditionnelle”, à créer un “nous” au croisement de plusieurs foyers, à asseoir un ancrage social et spatial et créer des continuités“ici” et “là-bas”, à jongler avec des répertoires parfois contradictoires… Ces articles nous parlent d’“objets en stationnement ou en transit”, de fratries qui ont en commun de “partager et être partagées”, de “multi référentialité”, d' »habitus multilocal », de pratiques “d’odorisation”… Ce faisant, ils mettent en lumière des expériences, des pratiques, des enjeux jusqu’ici peu visibles, et proposent un nouveau vocabulaire particulièrement fécond pour réactualiser les cadres d’analyse de la sociologie de la famille contemporaine.
Ce dossier thématique s’ouvre sur une introduction présentée par Laura Merla, Bérengère Nobels, Sarah Murru et CoralieTheys. Les auteures ré-interrogentla notion d’habitus à la lumière des processus de socialisation et des pratiques spécifiques au ‘faire famille’ en contexte de mobilité résidentielle, tant à l’intérieur qu’au travers de frontières nationales.Dans un premier article, Tino Schlinzig explore les dimensions sensorielles du “faire famille” à l’intérieur des différents foyers entre lesquels les enfants de parents séparés voyagent. À partir d’un terrain mené en Allemagne, il interroge la façon dont les odeurs peuvent contribuer à créer un sentiment d’appartenance et de cohésion au sein des familles multi-locales.Ursina Jaeger pose ensuite la question de l’impact de l’espace, et de la multiplicité des ordres sociaux qui découle d’une inscription multiple dans cet espace sur les pratiques du faire famille.Elle se centre dans son article sur l’expérience des relations familiales locales et transnationales de deux femmes et de leurs proches(l’une kosovare, l’autre ghanéenne) installées en Suisse.L’article d’Ida Wentzel Winther et de Steen Nepper Larsens’appuie, quant à lui,sur une étude ethnographique de familles danoises. Les auteurs interrogent la façon dont des enfants de parents séparés vivant dans des familles recomposées partagent des familles et des fratries qui ne sont pas limitées à un lieu unique et dont la composition change continuellement.De son côté, Shannon Damery explore, par le biais d’entretiens ethnographiques,comment de jeunes adultes migrants confrontés à des discriminations dans l’espace public belge, nourrissent un sentiment d’appartenance et d’ancrage dans leur ville de résidence (ici, Bruxelles) en s’appuyant sur une “famille volontaire” composée de membres avec qui ils partagent un but commun (acquérir une reconnaissance, par exemple en termes de titre de séjour) et une expérience commune de marginalisation. Nora Kottman étudie, pour sa part,la manière dont des familles allemandes expatriées dans un quartier chic du sud de Tokyo naviguent entre différents registres de la famille et sur les tensions qui peuvent naître alors entre la manière dont elles performent la famille dans leur pays de résidence et les codes de leur pays d’origine.Enfin, le dossier thématique se clôture avec l’article de Laura Merla et Bérengère Nobels qui explore la dimension matérielle du «faire famille». En effet, les auteures analysent la manière dont des adolescents belges qui alternent les lieux de résidence à la suite d’une séparation parentale utilisent les objets qui les entourent pour mettre en relation ces différents espaces, créer de la continuité dans l’expérience de la mobilité et former un tout cohérent, un “espace vécu”. Ce dossier thématique est disponible en libre accès ici
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