Quels critères sont mobilisés pour évaluer une demande d’hébergement alterné ?

L’équipe MobileKids est allée à la rencontre de juges et avocats qui pratiquent le droit de la famille, afin de mieux comprendre le traitement judicaire des demandes d’hébergement alterné égalitaire (HAE) en Belgique. L’équipe s’est penchée plus spécifiquement sur les différents critères qui sont mobilisés pour évaluer les demandes d’HAE en Belgique. 

Pour ce faire, nous avons d’abord élaboré puis analysé une enquête par questionnaire administrée en ligne en 2018 auprès d’avocat.es familialistes francophones. Nous leur avons demandé de nous décrire leurs pratiques professionnelles, et aussi de partager avec nous des informations concernant des dossiers qu’ils ont récemment traités. Les réponses à cette enquête nous apportent donc un éclairage sur leurs pratiques professionnelles et les critères qui pèsent encore aujourd’hui en défaveur de l’HAE dans les décisions juridiques.

En fait, trois critères semblent jouer de manière transversale en défaveur de l’HAE. Les deux premiers sont mobilisés largement à la fois par les avocats dans leur rôle de conseil, et, dans les dossiers dont les avocats nous ont parlé, par les parents lorsque l’HAE est demandé par l’autre parent contre leur avis, et par les juges lorsqu’ils ou elles motivent leur décision de ne pas accorder l’HAE. Il s’agit du jeune âge de l’enfant (moins de 3 ans, voire 6 ans) et du manque de disponibilité du parent demandeur. Le troisième critère, à savoir, l’éloignement géographique entre les parents, est quant à lui identifié fortement par les avocats dans leur rôle de conseil, et il figure parmi les 3 principaux critères mobilisés par les juges pour motiver leur décision dans les dossiers examinés par les avocats ayant répondu à notre enquête.

Ensuite, nous avons confronté ces résultats avec le témoignage de huit juges de la famille. Ces témoignages permettent de mieux apprécier les notions recouvertes par ces critères, la manière dont ils sont sous-pesés par les magistrats, et, in fine, les représentations de la famille qui sous-tendent ces processus. 

On relèvera que la logique du cas par cas prévaut dans l’examen des dossiers par ces juges, avec toutefois une attention particulière à trois critères qui tendent à peser en défaveur de l’HAE, à savoir le jeune âge de l’enfant, l’éloignement géographique (qui met également en jeu la stabilité de l’environnement social de l’enfant), et des conditions matérielles d’accueil des enfants jugées insatisfaisantes. Par contre, les positions sont variables quant au critère de disponibilité temporelle des parents. Si les juges rencontrés s’accordent sur le fait que les problèmes de violence, d’assuétude ou de non-fiabilité d’un parent sont un frein à la mise en place d’un HAE, ils et elles vont toutefois réagir de façon différente si ces comportements ne sont pas vérifiés par le rapport d’une enquête sociale ou par une décision de justice. Tous s’accordent en outre sur le fait que la mésentente entre les parents ne constitue pas en soi un motif de refus d’une demande d’HAE, que si l’enfant doit être entendu, le poids de la décision ne doit pas reposer sur ses épaules.

On constate également que le modèle de la famille nucléaire réunissant sous un même toit parents et enfants mineurs reste le modèle de référence pour les juges qui nous ont livré leur témoignage. La séparation parentale est en effet souvent vue en soi comme une entrave à l’intérêt de l’enfant. Le modèle idéal de la famille nucléaire s’articule alors à une vision des relations familiales dans lesquelles règnent amour, chaleur, paix, communication et bienveillance. Les critères qui font consensus parmi nos juges reflètent un souhait de reproduire des conditions similaires à celles que l’on pourrait trouver dans une famille nucléaire idéalisée, à savoir la stabilité de l’environnement social, la proximité géographique entre membres du couple parental, et le maintien de la fratrie.

Par-delà l’idéal de bonne entente, la question du mode d’hébergement des enfants en cas de divorce ou de séparation est traversée dans le discours des juges rencontrés par une tension entre deux modèles normatifs genrés de la parentalité : un modèle basé sur une conception plus traditionnelle du père et de la mère (la mère prenant davantage en charge les soins aux (jeunes) enfants et le père prenant davantage en charge les aspects financiers de la famille) et un modèle basé sur une égalité entre hommes et femmes.

Enfin, le modèle du consensus entre les parents fait quant à lui l’unanimité. L’entente entre les parents sur le mode d’hébergement accordé par la justice est un point essentiel pour ces huit magistrats, qui déclarent tenter de privilégier un compromis qui satisfasse un minimum les deux parties. Ce modèle du consensus positionne les parents en acteurs et actrices de leurs choix familiaux, et tend d’après nos interlocuteurs à transformer la logique « vainqueur – perdant » de la procédure judiciaire en processus de conciliation des intérêts de chacun.

Pour en savoir plus, n’hésitez pas à consulter notre rapport en cliquant ici ! Vous y trouverez aussi une brève description du cadre juridique actuel ☺

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Auteur:

Laura Merla

Je suis professeure de sociologie et membre du CIRFASE à l’UCLouvain, en Belgique. Au cours des 10 dernières années, je me suis spécialisée dans l’étude des relations familiales dans un contexte de distance géographique, que ce soit dans le cadre de migrations ou dans le cadre de séparations/recompositions familiales.